L’asperge peut être cultivée presque partout dans le monde, sous de nombreux climats et parfois sur des sols très différents. Sa bonne conservation, le maintien de ses qualités gustatives et, surtout, la valeur ajoutée qu’elle génère tout au long de sa chaîne de production et de distribution en ont fait une culture « mondialisée », à l’image de certains fruits comme la banane, l’avocat, la mangue, le kiwi, la pomme, ou plus récemment la myrtille. Elle est un exemple du commerce intercontinental de légumes.
La « mondialisation » des flux commerciaux

La fin du XXe siècle a vu une croissance continue de la production mondiale d’asperges. De 140 000 ha en 1988, la production mondiale a franchi la barre des 200 000 ha juste avant l’entrée dans le nouveau millénaire, pour ensuite atteindre 280 000 ha. Cette expansion des surfaces plantées est principalement due à l’émergence de nouvelles zones de production, comme le Pérou et le Mexique. Jusqu’alors, l’asperge était principalement cultivée dans les pays où elle était consommée, mais elle s’est développée dans des pays réunissant des conditions agronomiques favorables, et surtout une main-d’œuvre bon marché. La mondialisation des flux de marchandises (maritimes et aériens) et les nouvelles technologies de transport (conteneurs) ont entraîné une intensification du commerce. Actuellement, la production mondiale d’asperges s’étend sur 190 000 ha répartis entre quatre grandes zones de production.
Produit de « luxe » au Japon
L’Asie cultive l’asperge sur plus de 59 000 ha, dont 47 000 ha rien qu’en Chine. La production chinoise est composée à 70 % d’asperges blanches et 30 % de vertes, avec des débouchés variés : 60 % pour la conserve, 30 % pour le frais, 10 % pour le surgelé. La Chine est le premier producteur mondial d’asperges en conserve. Avec une surface bien plus modeste (7 000 ha), le Japon est l’autre pays d’Asie où l’asperge est une culture traditionnelle. Elle y est destinée au marché frais, avec une forte valeur ajoutée, et y est perçue presque comme un produit de luxe (voir Asparagus World n°5/2023). La Thaïlande et les Philippines cultivent environ 1 600 ha d’asperges vertes, de manière modeste mais stable. Taïwan se spécialise dans le marché du frais avec de l’asperge blanche (90 %). Dans cette région, l’Australie (2 000 ha) et la Nouvelle-Zélande (1 000 ha) produisent de l’asperge verte, principalement pour leur marché intérieur.
Le point faible du Pérou face au Mexique
Sur le continent américain, la production d’asperges vertes des pays du Nord – États-Unis (8 000 ha) et Canada (2 000 ha) – reste faible comparée à celle du Mexique (32 000 ha). Le climat, le coût de la main-d’œuvre et la proximité du lucratif marché nord-américain expliquent l’essor du Mexique, dont la production continue de croître (voir Asparagus World n°1/2019). Plus au sud, le Pérou (18 000 ha) est le premier producteur d’asperges d’Amérique latine. C’est l’un des rares pays – avec ses petits voisins comme l’Équateur (2 000 ha), la Colombie (800 ha), mais aussi la Thaïlande – à pouvoir produire de l’asperge toute l’année. Sa production est répartie entre asperges vertes (60 %) et blanches (40 %). Son principal débouché est la conserve (50 %), suivi du marché frais (40 %) et du surgelé (10 %) (voir Asparagus World n°3/2021 et n°4/2022). Mais la distance avec le marché nord-américain (plus de 9 jours par bateau) et le coût élevé du fret aérien sont des points faibles face à son principal concurrent, le Mexique, qui a gagné beaucoup de parts de marché. Au cours des 15 dernières années, le contexte économique a contraint le Pérou à réduire ses surfaces et à raccourcir son calendrier de production de deux mois, arrêtant les exportations en janvier et février. Il a ainsi perdu sa place de premier pays producteur mondial. Le Chili (2 000 ha) est un marché dynamique, axé sur l’asperge verte destinée au surgelé (60 %). Sur le même continent, l’Argentine (1 000 ha) (voir Asparagus World n°6/2024), le Brésil (800 ha), le Guatemala (500 ha), l’Uruguay et le Nicaragua (200 ha) produisent également de l’asperge.
Des tentatives non pérennes
La culture de l’asperge est quasi absente du continent africain (3 700 ha), hormis quelques exceptions au nord et au sud. L’Afrique du Sud, avec 1 500 ha, est le plus gros producteur, principalement d’asperges blanches (80 %), dont une majorité est destinée à la conserve (60 %). La production fraîche est consommée localement ou exportée, notamment vers le Japon. Le Lesotho (voir Asparagus World n°6/2024) et le Kenya sont également producteurs. En Afrique du Nord, le Maroc (500 ha) et la Tunisie (200 ha) ont accueilli des projets souvent portés par des entreprises européennes attirées par les coûts de main-d’œuvre et la précocité, mais ces tentatives n’ont souvent pas été pérennes.
L’Europe mise sur l’innovation
L’Europe, berceau botanique et historique de la culture de l’asperge (58 000 ha), présente une répartition claire : asperge verte dans les pays méditerranéens (Espagne, Italie) et anglo-saxons (Royaume-Uni), asperge blanche dans les pays d’Europe continentale (Allemagne, France, Pays-Bas). La production est exclusivement destinée au marché frais. En surface, l’Allemagne est leader (18 000 ha), avec une production essentiellement blanche. L’Espagne (12 000 ha) et l’Italie (10 000 ha) sont très orientées vers l’asperge verte. Viennent ensuite la France (6 000 ha), majoritairement blanche (70 %), mais avec une part croissante de verte (30 %), les Pays-Bas (3 000 ha, 100 % blanche), et le Royaume-Uni (2 500 ha, 100 % verte). On trouve aussi de la production blanche en Pologne (2 000 ha), Autriche (800 ha), Belgique (700 ha), Hongrie (500 ha). La tendance générale est à la baisse des surfaces, notamment en Allemagne (voir Asparagus World n°5/2023), aux Pays-Bas, mais aussi en Espagne et en Italie. Le manque de rentabilité, en raison du coût élevé de la main-d’œuvre et de la baisse de la consommation, explique cette régression. Plus récemment, les effets du changement climatique et la raréfaction de l’eau limitent le renouvellement des plantations dans les pays méditerranéens. Pour rester compétitive, l’Europe mise sur l’innovation technologique : développement de variétés très productives, utilisation de films plastiques pour gagner en précocité, mécanisation de la culture et robotisation de la récolte.
Signes d’une sortie de crise ?
Ce tour du monde des pays producteurs montre deux grandes tendances : les pays producteurs/consommateurs réduisent leurs surfaces, tandis que les pays producteurs/exportateurs les augmentent. La compétitivité dépend du coût du travail, des frais logistiques et du prix de vente. Le coût de la main-d’œuvre est un facteur en constante augmentation (voir encadré). La disponibilité mondiale de l’asperge influe aussi sur les fluctuations du marché. En analysant l’évolution des surfaces et des prix mondiaux, Christian Befve, consultant international, remarque que lorsque la production mondiale dépasse les 240 000 ha, les prix se déstabilisent et le marché entre en crise. « C’est ce qu’a vécu le monde de l’asperge entre 2014 et 2018, avec une forte hausse des surfaces mondiales, de 210 000 à 280 000 ha, entraînant une stagnation puis une baisse des prix, suivie d’un arrachage massif et d’une régression des surfaces », explique-t-il. Depuis 2022, avec un retour sous la barre des 200 000 ha, les prix mondiaux sont repartis à la hausse. « Cela annonce-t-il une sortie de crise pour l’asperge au niveau mondial ? » s’interroge l’expert.
Il faut plus d’un kilo d’asperges pour payer une heure de travail
Une comparaison du nombre de kilos d’asperges (au prix départ ferme) nécessaires pour payer une heure de travail en France et au Pérou, montre une évolution parallèle. En 2005, il fallait 2 kg d’asperges pour rémunérer une heure de travail en France, contre 1,3 kg au Pérou. En 2025, l’écart s’est creusé : 2,5 kg au Pérou et plus de 4 kg en France.