Comme toutes les plantes, l’asperge est composée en grande partie d’eau. Pour s’en convaincre, il suffit de couper un turion pour voir apparaître une goutte en moins d’une minute. Pourtant, « lorsqu’il s’agit de lui fournir cet élément vital, il n’est pas nécessaire de lui donner un bain, car elle déteste avoir les pieds dans l’eau. Elle préfère une douche », explique le consultant international Christian Befve. En effet, la plante semble redouter la stagnation d’eau au niveau des racines. C’est pourquoi l’asperge apprécie les sols bien drainés. Et même si l’ampleur de son système racinaire pourrait laisser penser que cette plante est adaptée, voire résistante à la sécheresse, ses besoins en eau sont en réalité importants. Ils sont proches de l’ETP (évapotranspiration potentielle). Sous climats tempérés de l’hémisphère nord (Europe, Amérique du Nord), cela représente entre 400 et 500 mm d’avril à mi-septembre. L’asperge craint la stagnation d’eau au niveau des racines, d’où sa préférence pour les sols bien drainés. Cependant, ses besoins en eau sont importants, même si son système racinaire donne l’illusion d’une adaptation à la sécheresse. Ces besoins restent proches de l’ETP.
Éviter l’effet parapluie

Partout dans le monde, selon les zones de production et la technique utilisée, l’eau nécessaire au développement de la plante est apportée par trois méthodes : l’irrigation gravitaire par submersion, l’aspersion et le goutte-à-goutte. On estime que seulement 5 % des surfaces mondiales d’asperges sont conduites exclusivement en pluvial, ce qui montre bien l’importance de l’irrigation pour cette culture. Le goutte-à-goutte est le système d’irrigation le plus utilisé, représentant 70 % des surfaces, contre 15 % pour la submersion et 15 % pour l’aspersion (source : C. Befve). L’aspersion peut également être utilisée dans certaines conditions pour protéger la culture contre le gel (voir encadré). Pour être efficace, l’eau doit être apportée au niveau des racines. Or, 80 % du volume racinaire se trouve sous le feuillage. Dans le cas de la gravitaire (inondation entre les rangs) ou de l’aspersion (soumise à l’effet parapluie, l’eau ne pénètre pas sous le feuillage), l’eau n’atteint pas les racines, contrairement au goutte-à-goutte. À noter que la technique du goutte-à-goutte enterré, utilisée aux débuts de cette méthode dans les années 1980-1990, a été abandonnée partout au profit d’un goutte-à-goutte de surface. Placée au-dessus des racines, la ligne de goutte-à-goutte crée l’effet « douche » recommandé. L’aspersion localisée est une variante possible du goutte-à-goutte localisé. Dans ce cas, l’eau est distribuée par des asperseurs placés sous le feuillage. L’eau est également apportée directement sur la butte. « Cette technique est particulièrement intéressante lorsqu’on utilise de l’eau de surface ou une eau chargée en minéraux (calcium, fer), souvent source de colmatage des goutteurs », précise Christian Befve.
Le goutte-à-goutte permet une gestion fine

L’apport d’eau doit garantir le confort hydrique de la plante afin de permettre le développement des turions — qui seront ensuite récoltés en première phase du cycle — puis celui des tiges feuillées et du feuillage. Cette seconde phase végétative permet à la plante de stocker des réserves pour l’année suivante. L’irrigation gravitaire apporte des volumes d’eau importants de façon ponctuelle, avec une saturation du sol toutes les trois à quatre semaines. La plante puise alors dans la réserve facilement utilisable du sol, principalement constituée par le complexe argilo-humique. Cette méthode n’est efficace que dans des sols à forte capacité de rétention et elle est très limitée dans les sols sableux. L’aspersion permet d’apporter de l’eau chaque semaine selon la disponibilité et les moyens techniques (rampes, asperseurs). Cette régularité assure des apports plus homogènes et adaptés aux besoins. Le goutte-à-goutte permet d’irriguer plusieurs fois par semaine, selon les besoins de la plante et l’état des réserves du sol, mesuré par des sondes tensiométriques. La division des apports permet de maintenir un bon ratio entre le volume d’air et le volume d’eau dans le sol, ce qui favorise l’oxygénation des racines. « Ce n’est qu’avec le goutte-à-goutte qu’on peut vraiment parler de gestion de l’irrigation », affirme Christian Befve.
Confort hydrique de la plante
« Ce confort se lit directement sur la plante. Lorsqu’elle est bien hydratée, ses cladodes sont nombreux, longs et ouverts, donnant au feuillage un grand volume », indique le spécialiste. À l’inverse, une situation de stress hydrique génère des cladodes courts, resserrés, en forme de queue de renard. Par ailleurs, l’apport d’eau sur la ligne de plantation favorise le développement racinaire sous le feuillage et en profondeur, contrairement à l’aspersion et la gravitaire qui humidifient uniformément la surface du sol. Les racines ont alors tendance à se développer en surface et dans l’inter-rang, ce qui les expose aux dommages causés par les outils de buttage. « Cet impact sur le système racinaire doit être considéré comme une source de baisse du potentiel de production et de la longévité de la culture », précise Befve. La gestion de l’eau et des fertilisants avec le goutte-à-goutte se fait selon les stades physiologiques de la plante (voir aussi Quand fertiliser et comment ?).
Développement foliaire maximum
Après la récolte, lors du redémarrage de la végétation, l’irrigation et la fertilisation doivent couvrir 110 % de l’ETP durant les deux premières semaines et représenter 40 % des besoins totaux en azote (voir aussi Efficience de l’eau et effets des méthodes d’irrigation). L’eau doit être apportée à fréquence rapprochée pour favoriser la production d’un grand nombre de turions. Durant les trois semaines suivantes, les apports peuvent être plus espacés, couvrant 90 % de l’ETP, avec une alimentation minérale équivalente à 10 % de l’azote total et 20 % des besoins en potasse, magnésie, phosphore, bore et calcium. Après cinq semaines, la plante entre dans une seconde poussée végétative pour produire de nouveaux turions. Les besoins en eau sont alors très élevés — 120 % de l’ETP — car le feuillage est déjà bien développé. À ce stade, les besoins en azote atteignent 20 %. Les trois semaines suivantes nécessitent des apports moins fréquents couvrant 80 % de l’ETP, avec 10 % de l’azote et 30 % des besoins restants en potasse, magnésie, phosphore et bore.
Une troisième poussée peut survenir cinq semaines plus tard. Les besoins en eau, à 130 % de l’ETP, sont importants car la plante atteint son développement foliaire maximal. La consommation d’azote représente alors 20 % du total. Ces apports doivent être maintenus pendant trois semaines. Ensuite, l’irrigation est réduite à 70 % de l’ETP, avec des arrosages plus espacés. Les apports d’azote cessent. Durant cette phase, les apports en potasse, magnésie, phosphore et bore représentent la moitié du total, afin de permettre à la plante de constituer des réserves suffisantes.
Efficience de l’eau et effets des méthodes d’irrigation

Un tableau comparatif permet d’évaluer les différentes méthodes d’irrigation d’une parcelle d’asperges, ainsi que d’une culture sans irrigation, selon plusieurs critères : efficience de l’eau, effets des pratiques culturales, contraintes techniques et coûts. Le goutte-à-goutte est le système le plus économe en eau. Par rapport à l’ETP, il permet de couvrir les besoins de la plante avec seulement 80 % de ce volume. L’aspersion, avec ses pertes par évaporation, nécessite 120 % de l’ETP. L’irrigation gravitaire, avec ses pertes par ruissellement, consomme jusqu’à 150 % de l’ETP. La consommation d’engrais est aussi liée à celle d’eau. L’application par fertigation permet de coller précisément aux besoins de la plante (base 100 %). Pour répondre aux mêmes besoins, il faut apporter 120 % d’engrais avec l’aspersion et 150 % avec la gravitaire. Notons que les parcelles non irriguées demandent elles aussi 120 % des besoins en engrais pour compenser la faible disponibilité des éléments. Les effets sur la culture sont également directs. En prenant 100 comme base pour la couverture foliaire avec aspersion, elle est de 60 avec goutte-à-goutte, et de 150 avec gravitaire.
L’apport d’eau augmente le rendement et la longévité
L’irrigation est un facteur déterminant du rendement et de la longévité d’une plantation d’asperges. D’après les données recueillies par Christian Befve, en prenant 100 comme base pour un rendement à l’hectare sans irrigation, l’irrigation gravitaire permet d’atteindre une efficacité de 130, l’aspersion 140 et le goutte-à-goutte 160. « C’est la qualité de l’apport et non sa quantité qui permet cette amélioration », indique le spécialiste (voir encadré 1). Il estime également que la durée de vie d’une plantation dépend du type d’irrigation : 6 ans sans irrigation, 8 ans en gravitaire, 10 ans en aspersion et 12 ans en goutte-à-goutte.
Investissements et coûts

L’irrigation d’une parcelle d’asperges représente un coût. Celui-ci est nul en cas de culture en pluvial, mais atteint 100 €/ha en gravitaire (inondation), 800 €/ha en aspersion et 1 500 €/ha en goutte-à-goutte. Cette hausse s’explique essentiellement par les investissements nécessaires dans les équipements (hors forage et canalisations). Le temps de travail est aussi à prendre en compte : on l’estime à 90 heures/hectare pour la gravitaire (préparation des parcelles, canaux), 25 heures pour l’aspersion (déplacement du matériel) et 11 heures pour le goutte-à-goutte (dont 6 heures d’installation, le reste en suivi du réseau).